Haïti : le gouvernement déclare la guerre aux gangs, mais pas contre ceux qui les financent et les arment

Haïti : le gouvernement déclare la guerre aux gangs, mais pas contre ceux qui les financent et les arment

Le gouvernement haïtien semble avoir trouvé sa nouvelle stratégie dans la lutte contre les gangs armés : l’externalisation. Selon une révélation du New York Times, confirmée par Le Nouvelliste, un accord a été signé entre l’administration haïtienne et Erik Prince, le sulfureux fondateur de Blackwater, société militaire privée tristement célèbre pour ses opérations controversées en Irak et en Afghanistan. L’objectif : éradiquer les gangs par la force, à l’aide de drones, d’équipements sophistiqués et de mercenaires étrangers.

Une annonce qui, à première vue, peut sembler spectaculaire. Mais elle soulève autant de questions qu’elle prétend offrir de réponses. Car si l’État décide d’ouvrir les portes du pays à une entreprise de sécurité privée au passé douteux, c’est aussi le signe d’un aveu d’échec : celui d’un pouvoir incapable de bâtir une réponse souveraine, institutionnelle et durable à la violence qui le ronge.

Le message est clair : face aux gangs de rue, l’État sort l’artillerie lourde. Mais qu’en est-il des autres formes de criminalité, plus subtiles, plus enracinées ? Où est la riposte contre les “gangs à cravate”, ces réseaux d’influence et d’argent, souvent bien installés dans les hautes sphères, parfois même dans les cercles du pouvoir ? Ceux-là ne vivent pas dans les quartiers populaires, ne brandissent pas de fusil artisanal, mais pilotent des stratégies de déstabilisation depuis des bureaux climatisés.

Les sanctions internationales pleuvent depuis des mois, accusant plusieurs figures politiques et économiques d’avoir financé ou soutenu les gangs armés. Pourtant, aucune enquête nationale n’a abouti, aucun mandat n’a été exécuté, aucune arrestation n’a été tentée. C’est cette asymétrie criante qui choque : gangs armés ciblés, élites criminelles épargnées.

Le recours à Blackwater, dans ce contexte, a tout d’un théâtre sécuritaire. On soigne les symptômes dans les quartiers populaires, pendant que les causes – politiques, économiques et structurelles restent intactes. Pire : on donne le sentiment que les gangs ne sont qu’un problème logistique à régler par des opérations militaires, sans interroger la complicité active ou passive de l’élite haïtienne dans leur ascension.

En acceptant l’aide de Blackwater, le gouvernement joue avec le feu. Car cette société n’est pas une ONG humanitaire : c’est une entreprise de guerre, au bilan controversé. Son arrivée marque une internationalisation supplémentaire du conflit haïtien, mais aussi une dérive dangereuse vers la privatisation des fonctions régaliennes de l’État. À quand les juges privés ? Les prisons sous-traitées ? La gouvernance par contrat ?

Le peuple haïtien a le droit à la sécurité, mais aussi à la justice, à la vérité, et à une lutte cohérente contre toutes les formes de violence. Envoyer des mercenaires dans les ruelles de Village de Dieu tout en laissant tranquilles ceux qui les financent revient à traiter la fièvre en ignorant l’infection. Tant que les “gangs à cravate” pourront circuler librement, financer l’insécurité et bloquer les institutions sans crainte de représailles, aucun drone ne pourra ramener la paix.

Ce n’est pas d’un contrat avec Blackwater que le pays a besoin. C’est d’un contrat de confiance avec son peuple, d’un sursaut de courage pour affronter les responsabilités internes, et d’un État qui cesse d’être complice ou spectateur de sa propre déchéance.

Jean Daniel PIERRE

GPL Media Libre

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