« Lakay se lakay. Lakay ap toujou lakay. » : la réponse cynique d’un État face aux déportations massives
Ce mardi, le ministère des Haïtiens vivant à l’étranger (MHAVE) a publié un communiqué célébrant ce qu’il qualifie d’« avancées notables » dans l’accompagnement de la diaspora. La ministre Kathia Verdier, dans le cadre des Mardis de la Nation, a livré une déclaration où le triomphalisme administratif masque difficilement l’indifférence d’un État face à une situation de crise : celle des déportations massives de ressortissants haïtiens, notamment depuis la République dominicaine et d’autres pays d’accueil.
Le slogan répété par la ministre : « Lakay se lakay. Lakay ap toujou lakay. » résonne aujourd’hui comme une réponse cynique à des milliers de vies basculées. Car pendant que des familles haïtiennes sont arrachées à leurs foyers, entassées dans des bus, puis déposées à la frontière sans un sou, sans papiers, sans accompagnement, le gouvernement haïtien se contente de réciter des phrases creuses.
Les chiffres avancés dans le communiqué sont censés rassurer : trois mille passeports produits sur cinq mille en attente à l’ambassade d’Haïti en République dominicaine. Mais cette annonce, qui arrive des mois après que des citoyens ont vu leurs démarches bloquées sans explication, ne règle rien sur le fond. Pendant que l’administration compte les passeports, les personnes concernées sont déjà déportées.
La ministre parle aussi de « dispositifs d’accompagnement » pour garantir un retour dans la dignité. Pourtant, aucune structure sérieuse n’est visible sur le terrain. Aucun plan logistique, aucun soutien psychosocial, aucun programme de réintégration n’est proposé. Ce sont encore les églises, les associations communautaires, ou les proches restés au pays qui tentent, dans l’urgence et la débrouille, de venir en aide aux rapatriés.
Pire encore, ce slogan « Lakay se lakay » est prononcé comme si le retour en Haïti était un choix, une évidence rassurante. Mais pour ceux qui rentrent malgré eux, souvent après des années d’exil et d’efforts pour reconstruire leur vie, ce « lakay » n’est ni prêt, ni accueillant. Il est synonyme d’un pays en ruine, d’un État absent, d’une insécurité omniprésente. L’ironie de ce slogan est cruelle pour ceux qui sont refoulés vers un pays qu’ils ont fui, souvent au péril de leur vie.
Le gouvernement, dans sa communication, se félicite de sa volonté de dialogue et de transparence. Il vante un centre d’appel fonctionnant 24/7, une chaîne télé dédiée à la diaspora, des « canaux numériques » pour soumettre des doléances. Mais cette façade ne suffit pas à masquer l’effondrement des services consulaires, les lenteurs administratives chroniques, ni la corruption qui ronge les institutions censées protéger les droits des citoyens à l’étranger.
Au fond, ce communiqué du MHAVE n’est qu’un écran de fumée, une tentative maladroite de transformer un désastre humanitaire en victoire bureaucratique. La vérité, c’est que les Haïtiens sont expulsés par centaines chaque semaine, que leur dignité est piétinée à chaque étape du processus, et que l’État haïtien, plutôt que de se porter à leur secours, leur répond par un slogan : « Lakay se lakay. »
Un slogan qui, aujourd’hui plus que jamais, sonne comme une insulte.
Jean Daniel PIERRE
