Le crédit bancaire révèle les inégalités du pays

Le crédit bancaire révèle les inégalités du pays

La répartition du crédit bancaire haïtien au troisième trimestre de l’exercice fiscal 2024-2025 dévoile un paysage financier marqué par de profondes inégalités. Cette cartographie du financement, établie par le Bureau d’Information sur le Crédit (BIC) de la Banque centrale dansla dernière note de politique monétaire, révèle comment le genre et la géographie déterminent l’accès aux ressources financières dans un pays en crise.

Pour commencer, la contraction générale du crédit donne le ton de cette période difficile. Les établissements financiers n’accordent que 81 602 prêts durant le trimestre, soit une chute de 5,78% par rapport au trimestre précédent. Cette baisse traduit l’impact de la dégradation sécuritaire sur l’appétit des banques pour le risque de crédit.

Le document dévoile aussi des disparités frappantes entre les différentes catégories d’emprunteurs. En effet, les personnes physiques captent massivement 96,32% du nombre total de crédits, ne laissant que 3,78% à des personnes morales. Cette répartition suggère une atomisation du crédit vers les petites transactions individuelles plutôt que vers l’investissement productif.

À l’opposé de cette tendance, l’analyse des montants révèle une réalité inverse qui bouleverse cette première impression. D’une part, en gourdes, les entreprises obtiennent 55 083,63 millions contre 59 910,45 millions pour les particuliers, soit un équilibre relatif. D’autre part, en dollars américains, l’écart devient vertigineux : 816,72 millions pour les entreprises contre seulement 139,79 millions pour les particuliers.

Il ressort de cette analyse une dualité troublante du système de crédit haïtien. D’un côté, un crédit de masse en gourdes destiné aux particuliers pour leurs besoins courants. De l’autre côté, un crédit d’élite en dollars réservé aux grandes opérations commerciales et industrielles.

Dans le même ordre d’idées, l’analyse par genre dévoile des inégalités persistantes qui reflètent les déséquilibres sociaux du pays. Les hommes monopolisent 63,37% des crédits en gourdes pour un total de 37 966,86 millions, laissant seulement 36,63% aux femmes pour un montant de 21 919 millions. Cette répartition reste quasi-identique au trimestre précédent, montrant la rigidité de ces inégalités structurelles.

Qui plus est, cette discrimination s’accentue dramatiquement pour les crédits en devises étrangères. De fait, les hommes captent 75,66% du portefeuille dollar avec 105,76millions, reléguant les femmes à seulement 24,3%. Cette concentration révèle l’exclusion massive des femmes des circuits de financement.

En s’intéressant maintenant à la dimension territoriale, la géographie du crédit dessine une carte des inégalités qui reflète la centralisation extrême de l’économie haïtienne. Force est de constater que l’Ouest, dominé par Port-au-Prince, aspire 75,35% du crédit total malgré la crise sécuritaire qui ravage la capitale. Cette concentration illustre le manque de volonté ou l’incapacité du système financier à irriguer les régions périphériques.

Les autres départements se partagent les miettes du financement national. Ainsi donc, le Nord arrive en deuxième position avec 6,23% du crédit, suivi de l’Artibonite avec 4,96% et du Sud avec 3,21%. Le Nord-Ouest fait figure de parent pauvre avec moins de 1% (0,70%) du crédit total. Ces proportions dérisoires révèlent l’abandon financier des régions rurales, pourtant cruciales pour l’économie agricole du pays.

Cette répartition géographique pose des questions cruciales sur l’équité du développement économique national. En concentrant les trois-quarts du crédit dans une seule région, le système crée mécaniquement des déséquilibres de développement qui perpétuent la marginalisation des provinces.

Au-delà des chiffres, cette radiographie du crédit bancaire haïtien révèle un système financier qui reproduit et amplifie les fractures du pays. Entre hommes et femmes, entre capitale et provinces, entre entreprises et particuliers, les inégalités d’accès au financement dessinent les contours d’une économie à plusieurs vitesses où les ressources se concentrent inexorablement entre les mains d’une minorité géographiquement et socialement privilégiée.

Dans ce contexte de contraction généralisée du crédit, aggravé par l’insécurité ambiante, l’urgence d’une réforme structurelle du système bancaire se fait pressante. Sans une volonté politique d’inclusion financière territoriale et de genre, le crédit bancaire continuera de creuser le fossé entre l’aire métropolitaine de Port-au-Prince et les zones périphériques du pays, condamnant ainsi toute perspective de développement équilibré et durable sur l’ensemble du territoire national.

Jonathan Gédéon

 

GPL Media Libre

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