18 mai : la désacralisation des lieux historiques et l’indifférence des autorités
Ce 18 mai 2025, alors que la nation célèbre le 222e anniversaire de la création de son bicolore, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et la Primature, incapables de se rendre ni à l’Arcahaie, berceau même du drapeau, ni au MUPANAH pour une descente symbolique ont mis le cap vers le Cap-Haïtien. Motif : l’insécurité.
La cérémonie officielle, réduite à une performance protocolaire, a eu lieu loin des lieux hautement symboliques et surtout loin des réalités qu’affronte le peuple haïtien chaque jour. Dans leur communiqué, les autorités appellent à l’unité, à la refondation de la République, à l’organisation d’élections… Pourtant, aucun mot clair n’est dit sur leur incapacité, répétée, à affronter les bandes armées qui font la loi sur les routes nationales.
Car la vérité est là : l’État ne contrôle plus les lieux de sa propre mémoire. Après avoir évité l’Arcahaie en 2023 pour célébrer la fête du drapeau au Cap-Haïtien, sous l’administration de l’ancien PM Ariel Henry, le CPT et la Primature s’exilent à nouveau en 2025, désormais incapable de sécuriser ni l’un, ni l’autre. La route menant à l’Arcahaie est entre les mains du gang de Canaan, un groupe armé lié à la coalition terroriste Viv Ansanm, qui bloque l’accès à cette commune depuis des années.
Où est passée la fierté nationale quand l’État, deux années de suite, ne peut pas se rendre là où le drapeau a vu le jour ? Où est passée l’autorité d’un pouvoir qui préfère chanter l’hymne national derrière des murs épais plutôt que de libérer les routes de la République ? Le silence des armes aurait été un hommage bien plus éloquent que n’importe quel discours.
Le slogan du jour, « Le Drapeau se lève, Haïti se rassemble », sonne comme une ironie cruelle. Le drapeau se lève, certes. Mais il se lève dans la peur, dans le repli, dans le mensonge d’unité. Il se lève sans le peuple, sans la liberté, sans la souveraineté.
À force de fuir les lieux de mémoire, le pouvoir finit par perdre la mémoire tout court. Et avec elle, l’essence même du drapeau : cette flamme d’insoumission, ce refus de la peur, cette dignité conquise au prix du sang. Aujourd’hui, la peur règne, et l’État se cache. Un drapeau ne vaut que par ceux qui sont prêts à le défendre, pas par ceux qui le brandissent en reculant.
Haïti ne se rassemble pas : elle se fragmente, elle se tait, elle tombe. Et pendant ce temps, les criminels paradent là où le sang de nos ancêtres a coulé pour la liberté.
Le 18 mai n’est pas une date à commémorer du bout des lèvres. C’est un serment à renouveler les pieds sur la terre de Dessalines, les yeux dans ceux du peuple, et le cœur tendu vers la reconquête de la nation. En 2025, ce serment a été trahi.
Jean Daniel PIERRE
