L’inflation vole Noël aux Haïtiens
Mi-décembre, le pays entre dans sa période la plus festive de l’année. Normalement, de la fin décembre jusqu’à la première semaine de janvier, les rues s’animent, les familles organisent des sorties, les salles de réception affichent complet, et l’ambiance de fête envahit Haïti. Mais cette année, le tableau est différent. Moins de programmes, moins de personnes dans les événements, moins d’enthousiasme. La raison ? L’inflation galopante qui étouffe le pouvoir d’achat des Haïtiens. Selon les données de l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI), le taux d’inflation annuel a atteint 31,9% en septembre 2025, contre 25,3% en octobre 2024. En douze mois seulement, les prix ont explosé, rendant la célébration un luxe que beaucoup ne peuvent plus se permettre.
Pour comprendre l’ampleur du problème, il faut d’abord saisir ce qu’est l’inflation. En termes simples, c’est l’augmentation généralisée et continue des prix. Quand l’inflation est à 31,9%, cela signifie que ce qui coûtait 100 gourdes en septembre 2024 coûte maintenant 131,9 gourdes en septembre 2025. Votre argent perd donc de sa valeur. Si votre salaire n’augmente pas au même rythme, vous devenez automatiquement plus pauvre. C’est exactement ce qui arrive à la majorité des Haïtiens aujourd’hui.
L’IHSI mesure cette inflation à travers l’Indice des Prix à la Consommation (IPC). C’est un outil statistique qui suit l’évolution des prix d’un panier de biens et services que les ménages achètent régulièrement : nourriture, transport, logement, vêtements, santé, éducation. L’IPC global est passé de 427,5 points en octobre 2024 à 556,4 points en septembre 2025. Cette hausse de près de 130 points en un an traduit une détérioration brutale du coût de la vie. Chaque point supplémentaire représente une pression de plus sur le budget des familles.
Paradoxalement, la variation mensuelle du taux d’inflation semble relativement stable, oscillant entre 1,4% et 4%. En septembre 2025, par exemple, les prix n’ont augmenté que de 1,8% par rapport à août. Cela peut paraître modeste. Mais c’est justement cette hausse régulière, même modérée chaque mois, qui produit l’explosion annuelle. C’est comme une fièvre qui monte lentement mais sûrement. Un degré de plus chaque jour ne semble pas grave, mais après un mois, la température devient dangereuse. On appelle cela l’effet cumulatif. Les petites hausses mensuelles s’additionnent et créent un gouffre sur l’année.
Les conséquences concrètes se font sentir partout. D’abord, dans l’alimentation. Le riz, les haricots, l’huile, la viande, tous les produits de base coûtent beaucoup plus cher. Une famille qui dépensait 10 000 gourdes par mois pour se nourrir en 2024 doit aujourd’hui débourser plus de 13 000 gourdes pour les mêmes articles. Ensuite, dans le transport. Le prix des taxis et le transport en commun augmentent aussi. Puis le loyer, l’électricité, l’eau, les frais scolaires, les soins médicaux. Tout monte. Le budget familial explose de toutes parts.
C’est dans ce contexte que la période des fêtes perd son éclat. Traditionnellement, décembre est le mois où les Haïtiens se font plaisir. On achète de nouveaux vêtements, on prépare des plats spéciaux, on va danser, on offre des cadeaux aux enfants. Mais cette année, beaucoup de familles doivent faire des choix douloureux. Faut-il acheter de la nourriture ou payer les nouveaux habits ? Faut-il sortir en famille ou économiser pour janvier qui s’annonce encore plus difficile ? Ces dilemmes créent une atmosphère de frustration et de tristesse, loin de la joie habituelle de fin d’année.
Les organisateurs d’événements le confirment : les réservations sont en baisse. Les concerts, les soirées dansantes, les réceptions attirent moins d’individus. Non pas parce que les Haïtiens ont perdu le goût de célébrer, mais parce qu’ils n’ont tout simplement plus les moyens. Un billet qui coûtait 1 000 gourdes l’année dernière peut maintenant coûter 1 500 gourdes ou plus. Pour une famille de quatre personnes, cela représente une dépense de 6 000 gourdes ou plus. Le calcul est vite fait : on reste à la maison.
D’un point de vue économique plus large, cette inflation massive a des effets dévastateurs sur le développement du pays. Elle appauvrit la population, réduit la consommation, décourage l’investissement et nourrit l’instabilité sociale. Quand les prix montent trop vite, les gens perdent confiance en la monnaie nationale. Ils préfèrent convertir leurs gourdes en dollars, ce qui affaiblit encore plus la gourde et alimente un cercle vicieux. L’inflation devient alors auto-entretenue : plus elle augmente, plus elle crée les conditions de sa propre accélération.
Face à cette situation, les autorités ont la responsabilité d’agir. La Banque de la République d’Haïti (BRH) doit mettre en œuvre une politique monétaire encore plus rigoureuse pour contenir l’inflation. Le Gouvernement doit créer les conditions de sécurité qui permettent à l’économie de fonctionner normalement. Sans ces mesures, l’inflation continuera sa course folle, et les fêtes de fin d’année, comme tant d’autres aspects de la vie quotidienne, resteront un souvenir de temps meilleurs.
En attendant, les Haïtiens s’adaptent comme ils peuvent. Ils réduisent leurs dépenses, ils rationalisent, ils renoncent. Cette fin d’année 2025 restera dans les mémoires comme celle où la fête a été sacrifiée sur l’autel de l’inflation galopante.
Jonathan Gédéon
