Volonté d’élections vs chaos sécuritaire : une contradiction inquiétante
Alors que le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé réaffirme l’engagement du gouvernement pour des élections démocratiques et transparentes, la situation sécuritaire et humanitaire du pays soulève de vives interrogations quant à la faisabilité réelle d’un tel projet.
Le gouvernement haïtien continue d’afficher sa volonté politique de conduire le pays vers des élections générales et un référendum constitutionnel, dans le cadre de la transition en cours. Une position réaffirmée ce mardi par le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, lors d’une visite officielle au Conseil Électoral Provisoire (CEP). Ce déplacement, hautement symbolique, vise à rassurer tant la population que les partenaires internationaux sur la détermination des autorités à respecter les engagements de l’Accord Politique du 3 avril 2024.
Dans son discours, le Chef du gouvernement a insisté sur l’importance du retour à la légitimité institutionnelle par la voie du suffrage universel. Il a évoqué la cohésion institutionnelle, la nécessité d’un climat de paix, et le rôle central du CEP dans ce processus. Toutefois, ces déclarations résonnent étrangement dans un pays où l’insécurité progresse chaque jour un peu plus.
En effet, sur le terrain, le constat est alarmant. Plusieurs zones du territoire national échappent totalement au contrôle de l’État, les gangs armés y imposant leur loi. Des territoires entiers sont désormais qualifiés de “zones de non-droit” ou « VAR », rendant impossible tout processus électoral crédible et sécurisé. La question se pose alors : comment organiser des élections générales quand le pays semble se morceler, territoire perdu après territoire perdu ?
La misère, elle aussi, pèse lourdement dans la balance. Le peuple haïtien est confronté à une crise humanitaire profonde, marquée par des pénuries alimentaires, un accès limité aux soins de santé, et une éducation en déroute. À cela s’ajoutent les vagues de déportations massives depuis la République Dominicaine, qui visent principalement les Haïtiens, souvent dans des conditions inhumaines. Ce climat d’instabilité sociale fragilise encore davantage la base sur laquelle le gouvernement veut bâtir un processus électoral.
Certains observateurs se demandent même si le gouvernement ne cherche pas à « tenter l’impossible ». Peut-on véritablement parler d’élections démocratiques quand seules certaines régions pourraient potentiellement voter ? Peut-on envisager une légitimité réelle pour des élus issus d’un scrutin partiel, organisé dans un contexte d’exclusion territoriale et de peur généralisée ? Le spectre d’une représentation biaisée plane dangereusement sur le projet électoral.
Pour beaucoup, le retour à la sécurité publique devrait être la priorité absolue avant toute consultation populaire. Sans sécurité, sans garantie d’intégrité, les élections risqueraient non seulement de manquer de légitimité, mais aussi d’alimenter de nouvelles tensions politiques et sociales.
Haïti a certes rendez-vous avec son avenir, comme l’a souligné le Premier ministre. Mais pour que cet avenir prenne forme à travers des urnes, il faut d’abord que le peuple puisse s’y rendre en paix, sans peur, et avec la certitude que son vote comptera. Tant que cette condition ne sera pas remplie, les discours resteront lettre morte face à la dure réalité du terrain.
Steeve Luc PIERRE
