Les Bahamas envoient deux navires : un engagement pour Haïti ou pour eux-mêmes ?
Les Bahamas annoncent l’envoi de deux navires de patrouille en Haïti pour intercepter les armes illégales et limiter les départs de migrants haïtiens. Cependant, cette décision soulève des questions sur les véritables motivations de ce soutien, qui semble davantage viser la protection des intérêts bahaméens.
Les Bahamas avaient suscité de grandes attentes en promettant de déployer 150 soldats dans le cadre de la mission multinationale dirigée par le Kenya. Pourtant, le 18 octobre dernier, seuls six soldats bahaméens avaient finalement été envoyés en Haïti. Cet écart entre les promesses et les actions avait semé le doute quant à la sincérité de leur engagement.
Quelques semaines plus tard, en novembre, le ministre bahaméen des Affaires étrangères, Fred Mitchell, ajoutait à la controverse en déclarant que ces six officiers avaient la possibilité de quitter Haïti à tout moment si la situation devenait « trop difficile ». Ce discours, loin de rassurer, soulignait une position ambivalente des Bahamas face à la crise sécuritaire haïtienne, mettant en lumière leur réticence à s’investir pleinement dans une opération à haut risque.
Dans ce contexte, l’annonce récente du déploiement de deux navires de la Force de défense royale des Bahamas (RBDF) apparaît comme une nouvelle tentative de montrer un engagement apparent. Selon le ministre de la Sécurité nationale, Wayne Munroe, ces navires, le HMBS Bahamas et le HMBS Nassau, seront en rotation dans les eaux haïtiennes à partir de ce 22 décembre 2024. Chaque navire, long de 60 mètres, sera doté d’un équipage d’environ 60 personnes et restera en poste pendant quatre à six semaines.
Toutefois, un examen attentif des déclarations de M. Munroe révèle les véritables objectifs de cette mission. Lors d’un déjeuner avec des pasteurs locaux, il a expliqué que ces navires patrouilleront pour intercepter les armes à feu illégales entrant en Haïti et empêcher les migrants haïtiens de quitter le pays. Il a souligné l’absence de sécurité maritime qui, selon lui, permet aux activités illicites de prospérer. « On chercherait à empêcher la contrebande d’entrer et les gens de sortir », a-t-il affirmé sans détour.
Or, cette déclaration met en évidence une double stratégie. D’une part, les Bahamas cherchent à afficher une implication dans la stabilisation de la région, mais, d’autre part, ils semblent davantage préoccupés par la protection de leurs propres frontières contre une éventuelle vague migratoire haïtienne. En effet, les Bahamas sont régulièrement confrontés à des arrivées massives de migrants haïtiens, fuyant la violence des gangs et les conditions de vie désastreuses.
Pendant ce temps, la situation en Haïti continue de se détériorer à un rythme alarmant. En 2024, plus de 5 000 personnes ont été tuées dans des violences liées aux gangs, et près de 700 000 autres ont été déplacées. Les groupes armés, de mieux en mieux équipés, pillent des communautés entières et s’emparent des zones stratégiques du pays, rendant l’accès à l’aide humanitaire presque impossible. Malgré le soutien du Kenya et d’autres pays, la mission internationale semble incapable de freiner cette spirale de violence, ce qui alimente un sentiment de désespoir parmi la population haïtienne.
L’annonce des Bahamas, bien que symboliquement importante, illustre une réalité troublante : l’absence d’une véritable solidarité internationale envers Haïti. En privilégiant leurs propres intérêts comme le contrôle de l’immigration plutôt qu’un soutien actif et coordonné pour rétablir la sécurité, les Bahamas et d’autres acteurs internationaux montrent les limites de leur engagement. Alors que les Haïtiens subissent une crise sans précédent, ce genre de réponse fragmentée et intéressée risque de renforcer encore davantage la souffrance d’un peuple déjà à bout.
Steeve Luc PIERRE
