Célébration du 222e anniversaire de création du bicolore: un prétexte pour dilapider les fonds publics
Le 18 mai 2025, l’État haïtien dépensera entre 300 et 400 millions de gourdes pour commémorer le 222e anniversaire de la création du drapeau national. Une cérémonie officielle est annoncée au Cap-Haïtien, avec tout le décorum : Te Deum, discours protocolaires et envolées symboliques autour du thème « Yon sèl drapo, Yon sèl pèp, Yon sèl nasyon ». Ce slogan, censé galvaniser un sentiment d’unité nationale, résonne pourtant comme une farce cynique dans le contexte actuel du pays.
Alors que des centaines de millions sont débloqués pour quelques heures de célébration, les institutions vitales du pays sont en état de coma avancé. Des universités ferment leurs portes ou fonctionnent dans des conditions misérables. Les écoles publiques errent sans locaux, sans matériel, sans professeurs régulièrement payés. Les hôpitaux, eux, sont souvent réduits à l’état de mouroirs, sans électricité, sans médicaments, sans personnel qualifié.
Le plus grand centre hospitalier du pays est fermé depuis plus d’un an, une réalité qui symbolise à elle seule l’effondrement de l’État face à ses responsabilités fondamentales. Pendant ce temps, la Police nationale, dernier rempart face à l’insécurité généralisée, est laissée à elle-même, sans équipements adéquats, sans encadrement, et souvent, sans soutien moral de l’État.
La déconnexion entre les priorités du pouvoir et les besoins fondamentaux de la population atteint des sommets d’indécence. Ces centaines de millions dépensés pour glorifier un symbole n’améliorent en rien le quotidien des Haïtiens. Ils ne sauveront aucune vie, n’ouvriront aucune école, ne rétabliront aucun service public. Ils serviront uniquement à offrir une vitrine provisoire, à maquiller l’agonie nationale d’un peu de vernis tricolore.
Mais le comble du mépris réside dans l’abandon d’Arcahaie, la ville où le drapeau haïtien fut créé. Une fois de plus, le gouvernement refuse d’y organiser les festivités. Officiellement, pour des raisons de sécurité. En réalité, parce que la route y menant est entre les mains de groupes armés, qui dictent leur loi sans aucune résistance de l’État.
L’impuissance face à ces forces illégales est totale. Et plutôt que de s’y confronter, le pouvoir détourne simplement les yeux. On ne fête pas le drapeau là où il est né, parce que l’État a déserté le territoire. Il a abandonné Arcahaie, comme il a abandonné tant d’autres zones du pays. Il a abandonné le symbole même de ce qu’il prétend célébrer.
Le drapeau haïtien, dans sa signification profonde, est né d’un acte de révolte, d’un élan de liberté, d’un projet collectif de souveraineté et de dignité. L’État haïtien actuel, incapable d’assurer les services de base, d’offrir un minimum de sécurité ou de garantir la continuité territoriale, trahit chaque jour l’essence même de ce drapeau. Dépenser des centaines de millions pour le célébrer, c’est non seulement une insulte aux citoyens qui souffrent, mais aussi une façon de le profaner.
On ne sauve pas un pays avec des slogans. On ne répare pas une nation avec des discours. On ne respecte pas un drapeau en l’érigeant au sommet d’une montagne d’indifférence et de ruines. Si ce drapeau devait parler aujourd’hui, il ne dirait sans doute pas « Yon sèl pèp ». Il demanderait : où est passé mon peuple ?
Jean Daniel PIERRE
