Visite présidentielle à Jacmel : entre opportunité et fuite face à la réalité

Visite présidentielle à Jacmel : entre opportunité et fuite face à la réalité

Ce mercredi 22 janvier 2025, l’actuel président colombien est en visite officielle en Haïti. Cependant, au lieu de Port-au-Prince, épicentre du pouvoir et de la diplomatie, c’est à Jacmel, dans le Sud-Est, que cette rencontre se tient. Cette délocalisation, motivée par des raisons sécuritaires, met en lumière les profondes défaillances d’un État en proie à la violence des gangs.

La venue d’un chef d’État étranger est, en temps normal, un moment de fierté et d’ouverture pour un pays. Pourtant, en Haïti, cette visite du président colombien, Gustavo Francisco Petro Urrego, illustre davantage l’échec d’une nation à garantir un minimum de stabilité. Port-au-Prince, capitale et symbole du pouvoir étatique, est désormais abandonnée aux gangs armés.

La ville est devenue une zone de non-droit où ni les citoyens ni les autorités ne peuvent circuler librement. Face à cette situation, l’État haïtien n’a eu d’autre choix que de délocaliser cet événement diplomatique à Jacmel, une ville relativement calme et sûre.

Historiquement, au 21e siècle, Haïti a accueilli des chefs d’État étrangers dans des moments difficiles, mais jamais la capitale n’a été écartée aussi systématiquement. En mars 2007, le président vénézuélien Hugo Chávez avait été reçu à Port-au-Prince dans un climat de stabilité relative. Quelques années plus tard, en février 2010, un mois après le séisme dévastateur du 12 janvier, le président français Nicolas Sarkozy était venu à Port-au-Prince, malgré la capitale en ruines.

Même si sa visite n’avait duré que quelques heures, elle témoignait de la capacité de l’État haïtien à organiser des rencontres diplomatiques, même en temps de crise. Cependant, aujourd’hui, cette même capitale est frappée par l’insécurité, obligeant les autorités à délocaliser des événements cruciaux.

Le choix de Jacmel pour cette visite est doublement symbolique. D’une part, il permet de mettre en avant les potentialités de cette région, souvent perçue comme un exemple d’ordre et de beauté. Jacmel, avec ses rues pavées, son architecture historique et son dynamisme culturel, est une vitrine attrayante pour les délégations étrangères.

Mais d’autre part, ce choix est révélateur d’un État qui contourne ses problèmes au lieu de les résoudre. Ce déplacement traduit une fuite face à l’insécurité galopante de Port-au-Prince et une incapacité chronique à rétablir l’ordre dans cette ville clé.

Certains pourraient y voir une forme de décentralisation, un concept souvent évoqué en Haïti mais rarement mis en pratique. Cependant, dans ce cas précis, il ne s’agit pas d’une décentralisation au sens propre, mais plutôt d’une délocalisation motivée par des raisons sécuritaires. La délocalisation de cet événement à Jacmel est une solution temporaire, qui masque la défaillance de l’État à gérer la situation dans la capitale.

En agissant ainsi, les autorités haïtiennes présentent une image biaisée de la réalité. À Jacmel, le président colombien et sa délégation découvriront un pays qui semble paisible et organisé. Mais cette illusion ne reflète en rien la souffrance de la majorité des citoyens, pris en otage par la violence, la pauvreté et l’absence d’un État fonctionnel.

Cette visite présidentielle, bien que symboliquement importante, ne doit pas masquer les graves défaillances de l’État haïtien. Délocaliser un événement à Jacmel ne résout pas les problèmes de Port-au-Prince, ni ceux du pays en général. Il est temps pour les dirigeants de cesser de fuir leurs responsabilités et de s’attaquer aux défis de manière frontale. Car si cette visite peut offrir un répit momentané, elle ne saurait cacher indéfiniment les fractures profondes qui menacent l’avenir d’Haïti.

Steeve Luc PIERRE

GPL Media Libre

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