Garry Conille ou l’autre visage de la gestion du vide en Haïti
Nous sommes en Haïti, ce pays étranglé dans un Port-au-Prince enclavé. Et, à la manette, des experts pour creuser et gérer le vide. Des missions avec des missionnaires et soldats pour sécuriser l’insécurité, stabiliser l’instabilité. C’est un pays cassé avec des blessures de plus en plus béantes. Pour protéger ces mensonges d’État, les politiciens corrompus et l’international communautaire y jettent de la devise par millions. […] Jovenel Moise, Ariel Henry et maintenant Garry Conille, le recrutement de spécialistes en gestion du vide continue.
Ici, la gestion du vide, dans son expression la plus simple, traduit les mécanismes mis en place pour gérer le chaos qu’on a mis du temps à organiser en Haïti. Puisqu’il faut maintenir le pays dans la crise, il leur faut un narratif. Une manière de nommer les choses et une finesse dans les actions pour simuler et dissimuler leurs intentions. La stratégie, c’est la non-décision. La politique de la non-décision se manifeste à travers des formules comme : décider de ne pas décider ; dire sans faire ; faire l’amnésique ; tergiverser ; donner l’impression de faire quelque chose alors qu’on ne fait rien. Mensonges. Demi-vérités. Illusions. Propagande. Langue de bois. Novlangue. C’est ici tout l’arsenal d’un gouvernement qui n’est pas dans l’action.
La première promesse de Garry Conille était celle de récupérer les territoires perdus. « Quartier par quartier, ville par ville, maison par maison », a-t-il maintes fois martelé. Mais aujourd’hui encore, même les institutions les plus importantes de l’État comme le Parlement, le Palais national, les Archives nationales, l’IHSI, le Palais de Justice et la Primature, la Banque centrale, la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif s’effondrent dans les territoires perdus.
La première tentative de M. Conille lors d’une visite à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti fut un échec. Jusqu’à présent son seul vrai bilan en tant que chef du CSPN n’est autre que celui de renouveler en permanence l’état d’urgence sécuritaire. Des visites, encore des visites. C’est un homme en quête de légitimité, menant sa campagne dans des institutions effondrées. C’est le spécialiste lui-même qui est sur l’agenda politique. On dirait qu’il est la seule politique publique de son gouvernement.
Le premier ministre, le chef du CSPN, le ministre de l’intérieur n’arrive même pas à récupérer son bureau à la primature. Et comble d’ironie, il montre au monde entier avec quelle fierté se fait-il loger au quartier général des Forces Armées d’Haïti. Incohérence ! Dans une certaine mesure, la non-décision se manifeste aussi dans la volonté du chef du gouvernement de désamorcer les sujets brulants des débats publics, les désinscrire sur l’agenda politique. Aussi communique-t-il sur les choses les plus futiles ou du moins celles qui ne demandent aucun effort.
La semaine dernière, on lisait la note du Ministère des Haïtiens Vivants à l’Étranger (MHAVE) sur les attaques portées contre la communauté haïtienne de Springfield, Ohio. Le Ministère y paraissait préoccupé. C’est bien son travail de s’inquiéter. Mais, je dis qu’il faut aussi un Ministère des Haïtiens Vivants en Haïti. Parce que, en Haïti, il y a des Haïtiennes et Haïtiens qui ne respirent plus. Canaan, Martissant, Grand-Ravine, Bicentenaire, Bel’Air, Carrefour […] Les frontières entre des zones d’un même département, des territoires perdus, des laissés-pour-compte, des oubliés, des abandonnés, on en a assez.
En analysant le geste de la ministre des affaires étrangères autour de l’acte de naissance du pays, on se demande s’il ne serait pas intéressant d’envisager un ministre des affaires nationales. Quelqu’un qui serait capable de transformer les revendications populaires en forces politiques. Un ministre qui se connait dans l’action. Dans le concret. À quelques jours de la réouverture des classes, les actualités des écoles et les facultés fermées par les gangs armés restent les mêmes. Mais le Dr Conille n’arrête pas de se montrer. Mais oui. Lorsqu’il n’y a pas d’action il faut se montrer en permanence pour ne pas sombrer dans l’oubli.
Il est important de souligner que, dans le règne de PHTK, le ministre le plus redoutable dans « le faire voir », « le faire croire » la propagande et la politique de la non-décision est maintenant le chef du Cabinet du premier ministre Garry Conille. C’est la même machine qui nous écrase. On en a juste changé le chauffeur. Demandez-moi qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire, réduire le nombre de ministre aux commandes des ministères pour nommer deux ministres délégués auprès du premier ministre. Je vous répondrai c’est comme poser le pansement sur une jambe de bois. Sinon, faire de nouveaux riches au détriment de l’État.
Pourquoi nommer une ministre pour assainir les institutions et l’État, lutter contre la corruption et l’impunité quand vous faites silence sur les rapports de l’ULCC, ceux de la CSCCA, de la DCPJ et même de l’ONU ? Comment interpréter cet imbroglio ? Pourquoi nommer un ministre chargé de la solidarité et des affaires humanitaires quand vous avez déjà le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE), le Ministère des Affaires Sociales et du Travail (MAST), le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales (MICT), la Direction Générale de la Protection Civile (DGPC), le Fond d’Assistance Économique et Sociale (FAES), la Caisse d’Assistance Sociale (CAS) ?
Déficit de gouvernance ? C’est là qu’on est amené à considérer que la non-décision en politique est parfois sujet à un problème de traduction. C’est-à-dire, interpréter le réel (démarche intellectuelle), imposer sa vision des choses à l’ensemble de la population tout en mettant en œuvre les ressources nécessaires à l’opérationnalisation de ses stratégies (démarche tactique). Là encore, il y a ce distinguo qu’il faut établir entre le faire et le comment faire. À défaut de voler vers les Cayes pour aller inaugurer une école, le premier ministre a volé vers Miragoâne après l’explosion d’un camion-citerne.
Mais où est le ministre délégué chargé de la solidarité et des affaires humanitaires ? Dans son premier message autour du drame sur X, il a parlé de l’implication de la protection civile, du ministère des affaires sociales et du ministre de la santé, pas même une fois de son ministre délégué. Quelle est la vraie responsabilité de celui-ci ? Où est jusqu’à présent le besoin qui a réclamé ce poste ?
Quels sont les avantages et privilèges que doit le pays a ces sinécures gestionnaires de vide ? À qui Dr Conille devra-t-il rendre compte de sa gestion ? Qui peut l’arrêter dans sa course ? Environ quatre mois après sa nomination, le spécialiste en gestion du vide nous vide de tout espoir en reprenant les mêmes pratiques. Les mêmes discours. Les mêmes manœuvres. Incapable de penser le bien commun, Garry Conille symbolise la continuité du mal-gouvernement.
Ayant été choisi de manière inconstitutionnelle et par des potentiels corrompus, le Dr Garry Conille devrait construire sa légitimité par l’entremise d’une proximité exprimée dans l’action via-vis des populations. Des actions concrètes. Efficaces. Efficientes. Mais, nous sommes jusqu’à présent en face d’un ensemble d’acteurs ne voulant surtout pas s’attaquer aux problèmes majeurs qui pourrissent la vie en Haïti. Mais pour combien de temps, ce pays continuera-t-il de payer des hommes et des femmes pour le maintenir dans sa crise ?
Jean Robert Bazile
